Non, la Wallonie n’est pas seule

paul-magnette

Et les réactions sur les sites des journaux français suggèrent que Paul Magnette ferait un bon candidat pour les prochaines élections présidentielles en France…

Lu ce vendredi 21 octobre sur le site du Vif/L’Express :

Ceta : « La Wallonie montre la voie »

Le libre-échange augmente les inégalités, soutient le journaliste français Emmanuel Defouloy, qui estime que la Wallonie, en refusant le traité commercial avec le Canada, « se trouve à l’avant-garde ».

La Bassée (nord de la France), 29 septembre 1998 : les 541 personnes, surtout des femmes, qui fabriquent des jeans pour le groupe américain Levi Strauss apprennent que l’usine va fermer. Coup de massue. Quelques jours plus tard, le personnel manifeste à Bruxelles, cœur du pouvoir européen et siège continental de la société. En couvrant l’événement pour l’Agence France Presse (AFP), le journaliste Emmanuel Defouloy, qui a vécu cinq ans en Belgique, rencontre pour la première fois les ouvrières qui seront licenciées. Ce fut le début de la gestation de son livre qui vient de paraître (1).

Emmanuel Defouloy donne d’abord la parole à deux de ces ouvrières qui, pendant dix ans, ont retranscrit leur parcours chaotique après leur mise au chômage. Dans une deuxième partie, il explique comment les pays occidentaux, en adoptant un libre-échange radical, ont livré des centaines de milliers de travailleurs à la cupidité de grands groupes et de leurs actionnaires. « Au début des années 2000, le phénomène était encore mal compris. Presque invisible. Quinze ans après, il apparaît clairement que les reculs sociaux et les dégâts humains engendrés ont été dramatiquement sous-estimés « , écrit-il. Entretien, à la résonance toute particulière, en plein débat pour ou contre le traité commercial entre l’Europe et le Canada (Ceta).

En quoi l’histoire de ces deux ouvrières est-elle emblématique ?

A la faveur de l’accord douanier entre l’Union européenne et Ankara qui venait d’être signé, les usines française et belges ont été délocalisées en Turquie. Une aubaine pour Levi’s, qui a trouvé l’occasion de produire à bas prix et de réexporter sa production dans l’UE sans payer de droits de douane. Les deux ouvrières, elles, n’ont jamais retrouvé de contrat stable… C’est emblématique du chômage de masse et de la spirale du déclassement qui frappent les classes populaires depuis plusieurs décennies.

Caterpillar, qui va fermer ses portes à Gosselies, c’est la répétition du même scénario ?

Oui. La quasi-disparition des droits de douane implique que les multinationales peuvent aujourd’hui s’installer là où elles engrangeront le plus de profits. Dans mon livre, j’explique en quoi cette dérégulation met en concurrence des ouvriers européens, qui ont acquis des revenus décents après de longues luttes, avec des ouvriers chinois ou bangladais aux salaires très bas et aux droits bafoués. Mais c’est également une concurrence des ouvriers d’Europe entre eux.

Les Wallons ont-ils eu raison de s’opposer au Ceta ?

Je me réjouis que la Belgique francophone (NDLR : la Wallonie) se soit placée à l’avant-garde de l’opposition à un libre-échange sans fin. Non, elle n’est pas la risée de l’Europe. J’y vois là l’éternel argument des multinationales : « Vous vous repliez, vous êtes archaïques… » Il faut retourner l’argument : le repli sur soi, c’est plutôt l’entre-soi des doctrinaires du libre-échange qui continuent de défendre un système qui ne marche plus. Ils ne sont plus capables de voir ceux qui sont victimes de ce système.

Ils prétendent favoriser la croissance…

Comment y croire encore ? La liste des étapes de la libéralisation des échanges depuis les années 1970 est très longue. Dans le même temps, la croissance du PIB en France n’a cessé de baisser : de 5,9 % dans les années 1960, on est passé à 4,1 % dans les années 1970, 2,3 % dans les années 1980, 1,8 % la décennie suivante et 1,3 % au cours de la décennie 2000. Cette tendance est similaire dans tous les pays développés. En fait, ces doctrinaires du libre-échange créent sciemment la confusion entre la croissance globale et celle des profits des multinationales et de leurs actionnaires, laquelle accroît toujours plus les inégalités.

En quoi le libre-échange est-il un « piège qui mine la démocratie » ?

Les opinions publiques en Europe sont désormais très majoritairement opposées à la poursuite du libre-échange. Mais par des procédures opaques, on les contourne. Du coup, le fait qu’une instance élue comme le parlement wallon ait voté non est une avancée très importante car, en général, ce sont seulement des syndicats ou des ONG qui se font entendre.

Qu’est-ce qui vous semble rédhibitoire dans le Ceta ?

Notamment l’ICS (Investment Court System), qui est le mécanisme privé pour régler les différends entre les Etats et les multinationales. Nulle part, dans aucun pays, aucun homme politique n’a jamais mis à son programme qu’il fallait créer des tribunaux privés dans des accords de libre-échange, le Ceta aujourd’hui, le TTIP (avec les Etats-Unis) demain. Ces traités ne sont donc pas le résultat de processus démocratiques mais du lobbying opaque de multinationales qui cherchent à remettre en cause nos acquis collectifs.

Dans ce tableau, quel rôle joue la spéculation financière ?

Le libre-échange a commencé à produire ses effets délétères avant même la liberté de circulation des capitaux. Dans les années 1970, on assistait déjà à des fermetures d’usines et à un chômage grimpant en flèche. J’explique dans mon livre comment la finance dérégulée a utilisé ce cadre libre-échangiste pour déstabiliser encore plus le rapport de force entre capital et travail, au profit du premier.

Votre livre est-il une dénonciation ?

Non, car je bannis le ton polémique. Le livre s’intitule L’Entraide : il faut mettre en avant des valeurs nouvelles, prendre un autre chemin et remettre l’Europe sur les rails. Critiquer le libre-échange n’est pas une posture nationaliste, mais profondément européenne, visant à généraliser vers le haut les normes environnementales, sociales, sanitaires. Ce qu’il nous faut, ce sont des traités d’un genre nouveau visant l’entraide et la régulation, notamment contre l’évasion fiscale, et non des traités de mise en concurrence généralisée de tous contre tous.

(1) L’entraide. Deux ouvrières dans le piège du libre-échange,par Nadine Jurdeczka, Michèle Sevrette et Emmanuel Defouloy, éd. Riveneuve, 320 p.

3 réflexions sur « Non, la Wallonie n’est pas seule »

  1. Ce qui reste à souligner, dans cette affaire (comme dans celle de la COP21…), c’est qu’elle illustre le processus de décomposition de ce qui reste de l’entité étatique belge, qui n’est pas durablement viable.
    Et, également, pour les ultra-régionalistes wallons comme pour les indépendantistes flamands, que cette prétendue compétence internationale des Régions, tant vantée, n’est qu’un pouvoir négatif : le pouvoir de dire « non », ce qui conduit à la paralysie de l’Etat « fédéral » (donc, en fait, déjà « confédéralisé ») mais pas le pouvoir de négocier et de signer en nom propre le moindre traité international (sauf donc à devoir paralyser ses partenaires « belges »… et non « belges »).

    J’aime

  2. Donc ce texte ne dit pas l’essentiel.
    A savoir que cette affaire du traité CETA UE/Canada est une manifestation de plus de l’inconsistance structurelle de l’Etat central belge, après cet autre preuve que fut la COP 21 (où la Belgique ne put apporter sa contribution « commune » chiffrée à la réduction des gaz à effet de serre). Une preuve de sa décomposition continue. Du caractère déjà « confédéral » de l’entité belge, une entité qui ne se commande plus elle-même, qui est commandé par ses membres (certains se souviendrons que j’ai exposé les quatre phases historiques et chainées du « confédéralisme » belge en décembre 2104 (« confédéralisme » culturel, puis politique, puis institutionnel puis enfin financier ; voir sur mon site ma dernière note : « Le Projet d’Intégration-Autonomie, un projet pour la Wallonie et Bruxelles avec la France. Du nécessaire au possible »).
    Ni la Californie,ni la Bavière, ni la Lombardie, ni la Catalogne ni l’Ecosse, ni le Québec, ni aucune entité fédérée de quelque État, État belge excepté, ne peut empêcher son État central de signer un traité international, dans quelque domaine que ce soit. Alors que chacune des six entités fédérés belges le peut, une situation unique au monde ! Un fait stupéfiant pour le monde entier car il dévoile le caractère résiduel de l’Etat belge, de son absence de substance, de la superficialité de sa souveraineté interne et international. Et surtout un fait annonciateur inéluctable de sa future disparition, dont seule l’échéance nous reste inconnue (ainsi que certaines de ses modalités).

    Magnette dit que la Wallonie a le même pouvoir constitutionnel qu’un État membre de l’UE. C’est à la fois vrai et faux, constitutionnellement et politiquement. C’est vrai car c’est le pouvoir de dire « non » (au moins pendant un certain temps…). C’est faux car ce n’est pas celui de dire « oui », puisque la Wallonie, comme la Flandre (et chaque autre entité fédérée belge, dans son domaine de compétence, ne peut négocier ni signer, seule, le moindre traité international (malgré ce que semble autoriser la constitution belge…). Au grand regret des nationalistes flamands, qui veulent l’indépendance sans oser la faire (à cause de leur refus de perdre Bruxelles) et des ultra-régionalistes wallons, qui veulent l’autonomie maximale sans en avoir les capacités ni les moyens (notamment financiers). Deux forces antagonistes qui, à leur insu, se ressemblent de plus en plus en ce qu’elles participent désormais, l’une comme l’autre, chacune à sa manière, au minage des dernières structures belges ! Voilà une une contradiction insurmontable pour les dirigeants wallons, une contradiction croissante, une mine de plus sous les pas du PS « francophone », obligé de se gauchiser pour conserver son électorat afin de rester au pouvoir, et, alors même qu’il fait tout pour conserver la structure protectrice belge aussi longtemps que possible, pour simplement gagner du temps, faute de disposer de la moindre stratégie alternative pour protéger la Wallonie de l’étranglement financier progressif engagé par la « sixième réforme », en vient, à son tour, à saboter lui-même cette structure pour servir cette gauchisation ! Ce n’est pas seulement à la « communauté internationale » que Magnette parle ainsi : il parle aussi à la Flandre, et comment ! Et les dirigeants flamands n’aimeront pas jouer longtemps à « qui perd gagne »…

    J’aime

  3.  » Monsieur Magnette parle aussi à la Flandre ! Et les dirigeants flamands n’aimeront pas jouer longtemps à « qui perd gagne » » Monsieur Lenain, vous parlez d’or. En Histoire, les révolutions, les bouleversements, arrivent très souvent par un fait inattendu…
    Voulu ou non, il semble que Monsieur Magnette se positionne comme futur dirigeant du PS wallon et qu’il annonce un changement de génération.
    Quel que soit le résultat du CETA, Monsieur Magnette vient de gagner ses galons de capitaine ! D’autant plus qu’il s’est fait connaître et reconnaître en France et en Europe.
    Quant aux reculs sociaux et aux dégâts humains engendrés par le libre-échange, pensez-vous qu’il aient été « dramatiquement sous-estimés » ? ils ont certainement été cyniquement prévus par les comptables et les experts des cercles qui profitent de l’aubaine financière. A quoi servent les caucus du genre Davos, du moins en coulisses ?

    J’aime

Répondre à LENAIN JAC Annuler la réponse.

La Wallonie avec la France en Europe et dans le monde